Nanotechnologies

26  janvier 2006

Pourquoi l’infiniment petit fascine-t-il autant ?

par Dorothée Benoît Browaeys

Pourquoi l¹idée de piloter l’agencement des atomes pour créer de nouveaux matériaux ou des « machines moléculaires » fait-il tant rêver ? Pour beaucoup de scientifiques, l’accès aux composants élémentaires de la matière et leur manipulation constituent « la levée du voile », le point ultime de la maîtrise matérielle. Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, considère que « si la matière s’auto-organise et que l’on peut comprendre comment cela se fait et passer aux commandes, nous pouvons refaire à notre façon tout ce qui existe » Même déclaration chez ceux comme Carlo Montemagno, à Los Angeles, qui tentent de copier les moteurs moléculaires inventés par les organismes vivants. Et Jim Gimzewski, pionnier chez IBM en nanochimie, ne cache pas son enthousiasme en lâchant « Celui qui contrôle l’auto-organisation, contrôle le futur ». Alors des projets mirobolants peuvent pleuvoir.

C’est pourquoi dans ce secteur, on assiste à une mobilisation financière sans précédent. En 2005, près de 10 milliards d’euros ont été investis dans les nanotechnologies au plan international. Cette inflation évoque une spéculation sur des technologies dont on nous fait miroiter les multiples bienfaits attendus pour la santé (diagnostics, prévention, puis thérapies ciblées, amélioration de fonctions ou d’organes déficients, voire de performances humaines...) et l’environnement (stockage de l’énergie, dépollution...), les capacités à améliorer considérablement les performances pour le traitement de l’information (rapidité, capacité, intégration) et à à multiplier les outils extrêmement sophistiqués, contrôlables à distance, mais invisibles...

Cet engouement laisse perplexe. D’autant que l’on assiste à une véritable cacophonie entre ceux qui annoncent des inventions révolutionnaires et des « incrédules », comme le physicien de Stanford, Robert B. Laughlin, prix Nobel de physique, qui parle de « nanobabioles ». Espoirs et dérisions dans un secteur où prospère le mélange des genres, où s’estompent les repères entre science et fiction, entre monde académique et monde des affaires. Le point ultime d’interrogation concerne le phénomène de convergence d’échelle qui promet pour certains d’établir un continuum entre information électronique, biologique et neuronales. La validation de cette promesse reste à faire....

Reste à savoir aussi pourquoi nous développons ces techniques lilliputiennes. Quelles en sont les finalités ? Quelle idée poursuit-on avec ce réductionnisme absolu qui abolit les frontières entre l’inerte et le vivant, le naturel et l’artificiel, le cerveau et les machines ? Enfin se pose la question centrale pour nos démocraties. Qui pilote ces choix industriels ? Alors même que l’on ignore tout des impacts sanitaires des nanoparticules - qui font fi des barrières pulmonaires, hémato-encéphaliques ou placentaires et ont une surface d’interaction considérable au regard de leur taille - des produits nanostructurés sont déjà fabriqués et diffusés dans notre environnement. Des perspectives d’interaction avec nos corps s’amorcent aussi avec des implants identifiants, des stimulateurs cérébraux intégrés, des cartes de paiement sous-cutanées...Pourtant, les populations connaissent bien peu de ces projets techniques. On ne voit pas d’élus ou de politiques s’emparer de ces choix et demander la mise à plat de ces perspectives pour une compréhension et un choix démocratique.

Pour éclairer ce vaste champ des nanosciences, qui recouvrent des champs scientifiques très divers quoiqu’investissant la même échelle de la matière, nous proposons quatre articles complémentaires. Tout d’abord, Claire Weill pointe la confusion qui règne sur le termes utilisés pour décrire le nanomonde. En second lieu, nous avons tenté de faire le point sur les avancées scientifiques majeures dans le domaine nanométrique en interrogeant le physicien Rémy Mosseri. En troisième lieu, Philippe Aigrain et Claire Weill présentent un éclairage critique des projets de société qui sous-tendent les promesses affichées dans le domaine des nanotechnologies biomédicales. Enfin, Dorothée Benoît Browaeys aborde la question de la mise en débat des enjeux des nanotechnologies.

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Sommaire

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