"Politique de civilisation", une mise au point

6  janvier 2008 | par Edgar Morin

Nicolas Sarkozy a parlé, lors de se voeux télévisés, de "politique de civilisation" un concept que vous avez défendu dés les années 80. Comment réagissez-vous à cette appropriation ?

M. Sarkozy a repris le mot mais que connaît-il lui ou Henri Guaino de mes thèses ? Est-ce une expression reprise au vol ou une référence à mes idées ? Rien dans le contexte dans lequel il emploie ne l’indique. Lorsque j’ai parlé de "politique de civilisation", je partais du constat que notre civilisation occidentale si elle avait produit des bienfaits, avait aussi généré des maux qui sont de plus en plus importants. Par exemple, le bien-être matériel produit un mal être moral, physique et humain. Ou encore, sur le plan écologique, le développement des sciences et techniques a engendré une dégradation de la biosphère et une pollution que l’on sent sur le plan de la vie quotidienne. C’est le même constat quand on étudie l’urbanisation des mégapoles ou la dévitalisation des campagnes avec l’extension de l’agriculture industrielle.

On peut encore illustrer cette thématique avec la notion d’individu, conquête dans la mesure où elle donne de l’autonomie et l’essence de responsabilité. Mais cette conquête s’est accompagnée d’une dégradation des solidarités précédentes, qu’elles soient familiales, de village ou ouvrières.

C’est en fonction de ce diagnostic que je faisais un certain nombre de propositions. Dans mes travaux, je m’attachais à voir dans quelle mesure on peut remédier à ces maux sans perdre les bienfaits de notre civilisation. Je me suis essayé à cet exercice dans un article dans Le Monde "Si j’avais été candidat..." (Le Monde du 25 avril 2007) à faire des propositions concrètes, comme sur le terrain du rétablissement des solidarités, la création de maison de solidarité ou d’un service civil ad hoc. Je ne peux, a priori, exclure aujourd’hui que M. Sarkozy réoriente sa politique dans ce sens mais il ne l’a pas montré jusqu’à présent ni n’en donne aucun signe. Si sa reprise du thème de la "politique de civilisation" pouvait éveiller l’intérêt, notamment de la gauche, non pour l’expression mais pour le fond, ce ne serait que souhaitable.

Propos recueillis par Sylvia Zappi
Le Monde, 02.01.08