Vérité de la démocratie, Jean-Luc Nancy

21  août 2008 | par Jean Zin

Dans ce petit livre, Jean-Luc Nancy s’essaie à donner une interprétation de Mai68 comme modification de la notion même de démocratie aussi bien par rapport à la conception substantielle d’une démocratie comme expression d’un "peuple" que celle d’une démocratie formelle (marchande, libérale, nihiliste), toutes deux se présentant comme une autofondation basée sur le fait majoritaire.

Depuis Mai68, la démocratie aurait acquis une dimension plus métaphysique (culturelle) excédant la politique. La non-volonté d’une prise de pouvoir au profit de l’expression de tous, de l’égalité des femmes, de la reconnaissance des différences, etc., renvoie à un infini hors politique qu’elle rend possible (l’homme passe infiniment l’homme), non pas équivalence des valeurs mais incommensurable de l’affirmation des valeurs.

La démocratie comme sens donné par chacun, ne serait plus fondée sur elle-même mais sur ce qui n’est pas politique et appartient à chacun dans sa singularité, non pas fondée sur des valeurs mais sur l’affirmation par chacun de ses valeurs.

On peut approuver effectivement cette définition de la démocratie comme "production de l’autonomie", dirions nous, démocratie des droits de l’homme et des minorités, dont la finalité collective est le développement humain, de la liberté individuelle égale pour chacun.

Il faudrait cependant y ajouter l’écologie et la transcendance du monde pour ne pas sombrer malgré tout dans un certain formalisme libéral, qui est bien un nihilisme des valeurs, à refuser de lui donner un contenu et même si on n’a que le mot communisme à la bouche car si le communisme est une évidence ontologique, déjà donnée, il n’y a pas à le construire... Par ailleurs, il est dangereux d’identifier le capitalisme à un principe d’équivalence alors que c’est un système de production bien matériel !

    Contrairement à ce que montre l’individualisme libéral, qui ne produit que l’équivalence des individus - y compris lorsqu’on les baptise "personnes humaines" - c’est l’affirmation de chacun que le commun doit rendre possible : mais une affirmation qui ne "vaille", précisément, qu’entre tous et en quelque sorte par tous, qui renvoie à tous comme à la possibilité et à l’ouverture du sens singulier de chacun et de chaque rapport. Cela seul sort du nihilisme :non la réactivation de valeurs, mais la manifestation de tous sur un fond dont le "rien" signifie que tous valent incommensurablement, absolument et infiniment.

    L’affirmation de la valeur incommensurable peut semble pieusement idéaliste. Il faut pourtant l’entendre comme un principe de réalité : elle énonce que c’est de ce valoir absolu qu’il faut partir. jamais d’un "tout se vaut" - hommes, cultures, paroles, croyances -, mais toujours d’un "rien ne s’équivaut" (sauf le monnayable, que tout peut toujours devenir). chacun est unique d’une unicité, d’une singularité qui oblige infiniment et qui s’oblige elle-même à être mise en acte, en oeuvre ou en labeur. mais, en même temps, la stricte égalité est le régime où se partagent ces incommensurables. (p46-47)

A voir à lire