Une troisième voir pour le travail

Analyse du livre de Jean-Louis Laville, Une troisième voie pour le travail, Desclée de Brouwer, 1999

Elisabette Bucolo Chercheuse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Jean-Louis Laville, dans son dernier ouvrage Une troisième voie pour le travail, analyse l’évolution du débat sur le travail en proposant une approche qui prend en considération les changements sociaux des derniers temps, engendrés par la créativité et le savoir-faire des citoyens au niveau local. Il faut « articuler réflexion sur le changement et analyse des pratiques en œuvre dans la société contemporaine ». Depuis une vingtaine d’années, les services relationnels constituent l’un des principaux champs de création d’emploi, les associations deviennent les lieux privilégiés de la réflexion citoyenne, les initiatives locales encouragent la créativité et le partage. La société a donné lieu à des stratégies de «nouveaux emplois” pour sortir de la crise, s’inscrivant dans des démarches solidaires de respect de l’égalité et de la justice.

« Les personnes s’associent librement pour mener en commun des actions qui contribuent à la création d’activités économiques et d’emplois tout en renforçant la cohésion sociale par de nouveaux rapports sociaux de solidarité ». L’économie solidaire a participé à la démocratisation des formes du travail par le biais d’actions collectives visant à penser l’action économique de manière différente : le commerce équitable, l’épargne solidaire, les nouveaux réseaux d’échange, les services relationnels, etc., en sont des exemples tangibles.

Face à la crise du travail, les solutions préconisées par les modèle américain et européen ont en commun, malgré leurs différences, d’engendrer la précarisation de l’emploi, le développement d’une multiplicité de statuts, les discriminations entre sexes et générations, le cloisonnement social. A l’origine de ce dysfonctionnement, il y a une représentation erronée de l’économie considérée uniquement comme économie de marché et ainsi complètement détachée du social. Il y a une évaluation de la croissance en termes seulement quantitatifs, effaçant tout rapport au bien-être et à la qualité de vie.

L’émergence des nouvelles formes d’organisation et régulation sociales, venant « du bas », qui composent l’économie solidaire, démontrent la nécessité de prendre en considération le social dans toute sa portée et l’impossibilité de continuer à penser l’économie indépendamment du social. En son sein se sont développées de nouvelles formes de cohésion qui passent par la diversification des formes de travail : emploi, travail rémunéré, travail bénévole, travail non rémunéré, volontariat…, par l’hybridation entre la sphère publique et privée, par la promotion du droit à l’initiative comme vecteur d’innovation collective.

On peut dire que la société civile, par le biais des expériences de proximité, a donné une première contribution au réencastrement démocratique de l’économie. L’économie sociale et solidaire constitue le troisième pôle de l’économie plurielle, les deux autres pôles étant le marché et l’Etat. Une troisième voie pour le travail est donc possible. Elle trouve sa réalisation dans le croisement entre représentation de l’économie, interventions publiques et politiques sociales.

La réduction du temps de travail, les emplois jeunes, les politiques du travail en général sont fondamentaux car ils participent à la création de nouveaux emplois, au dégagement de temps libre pour les individus et au développement de nouvelles créativités, enfin à la démocratisation du travail. Cependant, ils ne peuvent avoir des effets positifs sur la crise actuelle qu’à condition d’être englobés dans un renouveau généralisé qui touche à la fois la société civile et les pouvoirs publics locaux et nationaux. Seule une opinion publique attentive au débat social en cours peut garantir une maîtrise effective du temps hors et dans le travail. Un débat de société, axé sur les valeurs et les contraintes des mutations actuelles, garantira le « déversement » souhaité du temps dédié au travail vers le temps consacré aux activités associatives et citoyennes.

La négociation entre partenaires sociaux (syndicats, patronat, pouvoirs publics ) dans la définition des priorités et des valeurs à rattacher à la réduction du temps de travail s’avère indispensable, car elle seule peut éviter le déclenchement de nouvelles formes d’exclusion qui pèsent sur les catégories les plus faibles : jeunes, femmes et personnes âgées. A cela doivent s’ajouter des politiques publiques d’aménagement du temps qui prennent en compte le débat culturel lié à la réduction du temps de travail et aux nouveaux emplois. Les collectivités publiques auront à décider de la répartition de l’ensemble des nouveaux emplois, et notamment des réseaux territoriaux de services, entre services publics, entreprises locales et entreprises sociales, pour garantir des solutions capables de valoriser la socialisation, les rapports sociaux, les utilités économiques, l’égalité d’accès, dans leur ensemble et leur complémentarité.