" Le tiers secteur d'économie différente doit rester militant. Il doit déranger. "

Philippe Robichon*
*Lecteur de Transversales

Courrier d'un lecteur

En lisant attentivement le dossier de Transversales (N°57), je me suis réjoui qu'il ouvre un grand débat. Mais dans l'éventail des contributions, j'ai été frappé par l'absence de propositions stratégiques : je veux précisément parler de stratégie politique pour la gauche.

Trois constats contiennent ensemble le germe explosif d'un basculement prodigieux.

Le tiers secteur d'économie différente doit rester militant. Il est une arme de combat, pas un palliatif, pas un emplâtre, pas une annexe récupérable.

Page 8 du dossier, je note rageusement en face de l'expression d'Elisabetta Bucolo " catalyseur de nécessités sociales " : plus le libéralisme sauvage et anarchique engendre de chômeurs et de laissés-pour-compte, plus leur activité doit servir à le saper, à le miner, à le saboter, à destabiliser ce système. Je pense en particulier à l'action d'Attac, et au boycott des aliments transgéniques.

Face à la liste des “dépenses” d'assistance (Assedic, FNE, RMI), j'écris que la société montre qu'elle a déjà largement de quoi financer un revenu social pour tous basé sur la croissance des richesses obtenue sans les travailleurs, et en particulier sans ces travailleurs jetés à la poubelle par le capital. Travailleurs licenciés de Moulinex France, travailleurs sous-payés de Moulinex Mexique : même combat ! Marx et Duboin avec nous !

Pourquoi parler de stratégie ?

Page 10, je lis : " Le parcours fait par les acteurs du tiers secteur consiste à réintégrer socialement ces exclus. " Stratégie ? Nous y voilà. Réintégrer socialement, solidairement, oui. Mais l'efficacité politique serait d'en faire aussi des militants dénonçant le système qui les a exclus.

Page 11 je hurle ! " Il serait nécessaire de donner un statut institutionnel etc. " Non ! Non ! Non ! Ce secteur doit déranger. Il n'a rien à faire d'être institutionnalisé (=acheté) et doit bien s'en garder. Quel sens aurait l'initiative de paysans créant une coopérative de production en liaison avec une coopérative de consommation (pour court-circuiter Carrefour et Champion) si leurs structures étaient "institutionnalisées" ? Depuis quand songe-t-on à institutionnaliser la révolte ?

Page 13, je re-hurle. " Tout ceci milite en faveur de la création d'un statut de l'utilité sociale ", écrit Alain Caillé. Eh bien non ! Le rôle de cette économie marginale exemplaire est de “faire la nique” à l'autre, de la saboter. Lutte et combat. En marge citoyens !

Page 22, soulagement bienfaisant de lire chez Dominique Méda qu'il est fâcheux que le tiers secteur soit défini (par qui ? Il nous manque le texte d'Alain Lipietz) de manière négative, et surtout que le fait social apparaisse comme un "résidu". Si l'éruption est un "résidu" d'un corps qui réagit, alors vive l'éruption et la salutaire gratouille qu'elle entraîne.

Page 26, vraie jubilation de lire André Gorz et d'avoir envie de crier avec lui que " le tiers secteur peut au contraire figurer, au-delà de la société salariale en voie de disparition, une société autre, dans laquelle le travail rémunéré n'est plus le facteur d'intégration principal. " Merci André Gorz de suggérer à la gauche de retrouver des arguments et des armes, et souvenez-vous (malgré tout) de Lénine lorsqu'il disait " expliquer, toujours expliquer. Donnons aux pauvres la rage d'être pauvres en les aidant à comprendre qu'ils ont été volés. "

Expliquer : c'est cela que nous devons faire pour ré-armer la pensée flapie de la gauche et pour redonner aux exclus ce que l'absence d'utopie a, mot à mot, "dés-espérés".