La nécessaire réforme du système de sécurité sanitaire et de son volet environnement

André ASCHIERI*
*Député des Alpes-Maritimes, co-auteur d'un rapport pour le Premier ministre intitulé Propositions pour un renforcement de la sécurité sanitaire environnementale, novembre 1998.

La France a réformé son dispositif de sécurité sanitaire en créant deux agences chargées respectivement des produits de santé et des aliments. Mais la structure consacrée aux risques liés à la détérioration de l'environnement n'a pas vu le jour. Chaque agence reste cantonnée à son ministère de rattachement. Or, pour anticiper ou faire face aux crises sanitaires, une approche globale coordonnée au sein d'une unique agence serait bien plus efficace.

Il n'est plus temps d'attendre : la France doit impérativement réformer son dispositif de sécurité sanitaire pour prévenir les risques liés à l'environnement.

L'année dernière, en réponse aux crises sanitaires qui avaient précédemment secoué notre pays, la France adoptait la réforme de sécurité sanitaire tant attendue. Si les deux agences créées par la loi du 1er juillet 1998, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, se doivent maintenant de répondre à des crises du type du sang contaminé ou de l'encéphalopathie spongéiforme bovine (ESB), un domaine était laissé de côté, celui de la sécurité sanitaire de l'environnement.

L'urgence d'une réforme

Nécessairement pluridisciplinaire, la santé publique se heurte, en France, à divers savoirs académiques qui pensent pouvoir répondre aux questions qu'elle soulève. Pour la plupart des responsables des pouvoirs publics, la notion de santé n'évoque, le plus souvent, pas grand-chose. Au mieux, un problème est dit de “santé publique” quand son importance et sa visibilité dépassent à l'évidence la sphère de l'événement individuel. Au pire, la santé publique s'oppose à la santé privée pour désigner une tentative de collectivisation des pratiques de soins.

La multiplication des sources d'exposition et de contamination de l'homme par son environnement pourrait bien changer radicalement notre perception. Entre le début et la fin de notre siècle, les enjeux sanitaires ont considérablement changé. Si le nombre de décès dus aux maladies infectieuses a considérablement régressé grâce aux progrès de la médecine, le nombre des cancers a dans le même temps progressé de 4 à 30 % dans l'ensemble des pays développés. En France par exemple, on constate une augmentation de 67 % des lymphomes et de 46 % des tumeurs du cerveau sur 10 ans. La rapidité de la progression des cancers, mise en évidence par divers travaux scientifiques, semble liée à une implication des facteurs environnementaux, notamment chimiques. La célèbre étude de Doll et Peto aux États-Unis, par exemple, montre que les populations migrantes adoptent en deux générations le profil des cancers du pays d'accueil avec un taux d'incidence bien supérieur à la population de leur pays d'origine. Ces études sont corrélées par un développement constant des cancers chez l'enfant, ne permettant pas ainsi d'attribuer au seul vieillissement de la population cette évolution.

Anticipation des crises

Le récent rapport de l'Agence européenne pour l'environnement, rendu public en juin dernier, alerte sur l'imminence d'une véritable crise de la santé publique causée par les diverses sources de pollutions, et se manifestera probablement dans les années à venir. Faut-il y voir une “défaite de la santé publique” ? Je ne le crois pas, car nous resterions sur un constat d'échec.

Hier, la crise sanitaire liée à l'intoxication par l'amiante, connue pourtant depuis le début du siècle, a été mal gérée et le nombre de victimes va s'accroître dans les prochaines années. Aujourd'hui, une politique de santé publique doit être une politique d'avant-garde, devançant les risques de contamination pour anticiper les crises au lieu de compter les morts a posteriori. Nous ne devons pas répéter les mêmes erreurs.

Des produits cosmétiques aux peintures murales, beaucoup de choses qui nous servent, ou nous entourent au quotidien, sont totalement ou partiellement dérivées de produits chimiques. Pourtant, pour des milliers de ces substances, on connaît mal leur influence réelle sur la santé et l'environnement, et trop souvent, des produits tout à fait banals — comme nous le montre l'affaire des éthers de glycols — se trouvent à l'origine d'une catastrophe sanitaire et environnementale.

Rassembler les compétences liées à la santé et à l'environnement

Prendre en compte les risques liés à la détérioration de notre environnement constitue donc un nouvel impératif de santé publique. Afin de privilégier une approche globale, il faut d'urgence une structure véritablement mixte comprenant les compétences liées à la santé et à l'environnement : une agence de sécurité sanitaire et environnementale. Il serait aberrant de continuer dans ce schéma des agences qui restent cantonnées à leur ministère de rattachement. La santé et l'environnement doivent être coordonnées, rassemblées dans un même endroit. Telle est la condition nécessaire d'une politique de prévention cohérente. Les réticences politiques à ce projet sont aujourd'hui dépassées quand 90 % de la population est convaincue, à juste titre, que la pollution atmosphérique constitue un danger.

La structure à élaborer doit couvrir tous les milieux, tirer les leçons d'une définition large de l'environnement, celle qui est justement plébiscitée par les scientifiques et qui prend en compte tant les produits chimiques que les agents physiques, les rayonnements ionisants ou le bruit. Cette agence doit être compétente en matière de construction, d'innocuité industrielle, de sécurité au travail, de pollution atmosphérique, et de tout ce qui affecte la santé de l'homme. Se limiter au seul domaine des substances chimiques, même si elles représentent le champ le plus méconnu, revient à oublier que l'homme est exposé de multiples autres façons.

Mettre en place une structure unique

La mission que j'ai menée pour le Premier ministre m'a permis de prendre conscience qu'une grande partie des connaissances existaient déjà. La France a surtout besoin d'experts capables de trouver les informations utilisables. Par ailleurs, établir une agence de sécurité sanitaire et environnementale permettrait de rationaliser cet empilement de structures administratives propre à notre pays. Leur multiplication est préjudiciable à tous les niveaux : éparpillement des données, lenteur de leur transmission, retard de la décision politique, difficiles négociations dans les relations internationales.

Créer une agence unique à l'image de celles qui existent dans un certain nombre de pays européens — RIVM aux Pays-Bas, GSF Forschungszentrum für Umwelt und Gesundheit en Allemagne ou la Danish Environnemental Protection Agency au Danemark — permettrait de proposer un seul interlocuteur aux autres agences européennes. Un système bien plus simple pour discuter des programmes de recherche, de l'élaboration de normes européennes, ou pour envisager une recherche européenne commune. Cela préserverait aussi l'indépendance par rapport aux États-Unis où les intérêts économiques prennent trop souvent le pas sur les obligations de santé publique.

Séparer les fonctions d'évaluation des fonctions de gestion

Différents principes, outre une approche globale des risques, sous-tendent la création de cette agence. En particulier l'impératif de séparation des fonctions d'évaluation et de gestion, afin de ne pas entraver la recherche scientifique dans son travail de détection des risques et d'information des populations. Ce mélange des genres, trop longtemps entretenu, a contribué à développer en France les nombreuses crises sanitaires que nous avons connues. Enfin, cette nouvelle agence doit permettre de promouvoir un troisième principe oublié : celui de la précaution. Ce dernier n'a de raison d'être que s'il s'appuie sur une capacité d'expertise suffisante pour peser dans l'évaluation des risques liés à l'utilisation d'un produit. Cette étape relève d'un véritable changement de culture en France.

Une double mission

Pour accomplir ses différentes missions l'agence doit, à mon sens, se mobiliser selon deux lignes directrices :

Réinventer les rapports entre scientifiques, citoyens et politiques

L'agence doit aussi innover en imaginant de nouveaux rapports entre scientifiques, citoyens et politiques. Chaque expert dans sa discipline prétend être le meilleur. Or quel que soit le secteur dont on parle, il existe toujours une marge d'erreur. Cette incertitude est mal supportée par les citoyens. Certains scientifiques, désignés à titre d'experts, confisquent la parole et l'opinion n'est plus entendue. Une politique de prévention quelle qu'elle soit doit s'appuyer sur un dialogue entre les différentes parties.

Depuis les campagnes hygiénistes du siècle dernier, la communication des pouvoirs publics en matière de prévention sanitaire est tombée en désuétude. Une autre politique de communication reste à inventer. Les conférences de consensus, les collectifs de citoyens apparaissent comme un premier pas dans cette voie. Il ne faut pas déléguer aux seuls experts la responsabilité de notre sécurité ; il ne faut pas laisser les élus décider sans discussion et sans contrôle avec pour seul avis celui des experts. Ce type de délégation empêche de former le jugement des citoyens et du coup limite l'évolution des mentalités.

Citoyens, scientifiques et responsables politiques, doivent travailler ensemble pour éviter les prochaines crises sanitaires. Que le passé tienne lieu d'avertissement politique ! Hier, nous n'avons pas su écouter, nous étions “responsables mais pas coupables”. Demain, alors que nous savons quoi faire, nous serons responsables et coupables si nous ne réagissons pas.