EDITO

"En tant qu'être humain je suis en situation régulière sur toute la planète". Cette phrase illustrant une photo d'enfant asiatique exprime bien le lien que nous devons établir entre les luttes intra-nationales contre l'exclusion et le mouvement inter-national pour l'émergence d'une véritable citoyenneté planétaire. Il n'y a pas contradiction, il y a au contraire renforcement réciproque entre l'action civique locale, nationale, continentale et mondiale. Mieux que les partis politiques qui bornent trop souvent leur ambition au cadre nécessaire mais non suffisant de la nation, les mouvements de citoyenneté inventent progressivement une nouvelle théorie et de nouvelles pratiques de l'agir politique. Les cinéastes et les écrivains français qui, avec les associations antiracistes, ont été à l'origine de la campagne civique contre la loi Debré, témoignent d'une vision positive de l'ouverture des frontières. Les ouvriers flamands qui surent organiser la première grève, puis la première manifestation européenne de solidarité contre la fermeture autoritaire de l'usine de Vilvorde, démontrent que l'Europe peut être un espace pertinent pour un renouveau du mouvement syndical. Les travailleurs coréens avaient montré ces dernières semaines que la mondialisation n'était pas condamnée éternellement à servir de machine de guerre contre les travailleurs : elle peut aussi ouvrir un champ nouveau aux luttes sociales.

Le 21ème siècle est certes gros des dangers que font peser d'un côté les déracinements que provoque l'émergence d'un capitalisme financier mondial, de l'autre les replis identitaires aux formes multiples qu'il nourrit comme son double : nationalismes, tribalismes, fondamentalismes de toutes nature. Car les deux mouvements s'entretiennent en se nourrissant mutuellement de la peur de l'étranger qui leur est commune. Mais le siècle à venir peut être aussi celui d'une avancée vers la formation d'une conscience planétaire ouvrant la voie à une communauté politique terrienne. Une telle communauté politique n'implique en aucune façon la disparition des nations ou la dissolution de consciences locales, régionales ou continentales. Une démocratie mondiale appuyée sur une citoyenneté reconnue à tous les humains de cette planète ne pourra fonctionner sans la claire reconnaissance de niveaux de subsidiarité et d'auto-organisation qui donnent toujours la priorité aux niveaux les plus proches des gens pour traiter leurs problèmes.

Loin d'être voué à se dissoudre dans un simple marché mondial, le politique sera ainsi, pour le pire ou le meilleur, la clef du prochain siècle. Qu'il bascule du côté de la peur et nous reverrons de nouveaux faits totalitaires, de nouvelles guerres, de nouveaux génocides. Qu'il soit le terreau d'une démocratie renouvelée, d'un dialogue et non d'un conflit entre civilisations, et c'est en son sein qu s'élaboreront les nouvelles règles juridiques et sociales dont les marchés devront bien tenir compte. Ce jour là, Davos sera devenu un charmant petit village suisse!

Patrick Viveret