RENTIERS DOMESTIQUES

L'actualité nous fournit tous les jours des condensés saisissants des absurdités auxquelles peut conduire la dérégulation de nos économies. L'ouverture des jeux olympiques d'Atlanta est ainsi l'occasion d'apprendre que les formes sophistiquées de dopage sont en grande partie indétectables et que le tarif pour la participation d'un champion à une compétition se situe entre 200 et 400 000 F. Les revenus annuels des vedettes médiatisées du sport atteignent les deux cents millions pour certains basketteurs et les cent millions pour des coureurs de Formule I et l'on vient nous expliquer que les pauvres joueurs de football français sont obligés de payer leurs impôts alors qu'en Italie, par exemple, ce sont les grands clubs qui les paient à leur place !

Dans le même temps, on nous annonce que de nombreux médicaments ne vont plus être remboursés pour cause de déficit aggravé de la sécurité sociale et, sous prétexte des festivals d'été, refleurissent les arrêtés d'expulsion des mendiants hors des villes. Avec le retour de l'économie rentière depuis l'explosion boursière des années quatre vingt, nous retrouvons des formes de domination et d'exploitation sociales que l'on croyait définitivement révolues. Le retour des domestiques accompagne le retour des rentiers. Il est paradoxal de constater que le marxisme qui connut son apogée dans les années soixante et soixante-dix, à une époque où il était largement inadapté, est aujourd'hui disqualifié alors qu'une bonne partie de sa critique de la domination et de l'exploitation retrouve une vraie pertinence.

On comprend mieux ce paradoxe si l'on fait l'hypothèse que nous avons à la fois un pied dans le XXI ème siècle et un autre dans le XIX ème. La mutation technique de la révolution informationnelle, couplée à la mutation géopolitique de la mondialisation a créé les conditions de la révolution financière. Mais, faute de régulation politique, ce capitalisme financier reproduit les mêmes effets pervers, à l'échelle mondiale cette fois, que le capitalisme industriel hier avant que le mouvement ouvrier ne le force à s'humaniser. De nouveau la misère côtoie l'extrême richesse et le chômage massif risque, comme dans les années trente, de préparer l'avènement de nouveaux phénomènes totalitaires si nous n'y prenons garde. Car la peur individuelle, lorsqu'elle se transforme en panique collective, est propice à accueillir tous les discours démagogues et simplificateurs qui désignent l'étranger comme la source de tous les maux.

Il est donc essentiel, comme nous le faisons dans notre Éclairages sur… "les passions de crise", de ne pas sous estimer la dimension psychique des grands dérèglements actuels. L'alternative à la peur, dans laquelle l'Europe pourrait jouer un rôle majeur, c'est celle de la construction d'un nouvel art de vivre. Celui-ci constitue à la fois le terreau de la résistance aux formes sauvages de la mondialisation et le vecteur d'un projet politique positif dont l'objet est, comme nous le disions dans notre avant dernier numéro, de "civiliser" cette même mondialisation.

PV